L’éducation libre, c’est laisser à l’enfant et à l’adolescent le choix. Le choix de se tourner vers ce qui l’intéresse, au moment où il en ressent l’impulsion. Les résultats sont spectaculaires tant au niveau des apprentissages que du bien-être et du développement de la personne du futur adulte. Je suis persuadée que nos enfants et l’éducation que nous leur donnons est l’une des principales clés pour construire le monde de demain. J’ai voulu dans cet article vous proposer un premier contact avec cette autre vision de l’éducation. J’ai donc interviewé Célia Bessaguet, fondatrice d’une école démocratique et permaculturelle pratiquant l’éducation libre, l’École à l’Ère libre.

 

Repenser l’école

J’ai découvert le concept d’éducation libre en 2017, alors que je proposais mes services à Célia en tant que bénévole pour la création de son école… Et cela a remis en question beaucoup de choses dans ma vision de l’éducation, tout comme la découverte de la parentalité bienveillante a changé mon regard sur la vie en général – mais ça, c’est une autre histoire. Le schéma éducatif traditionnel est tellement ancré en nous que s’ouvrir à autre chose peut être source d’un certain malaise et d’un millier de questions, mais cela ne dure pas bien longtemps. Alors, on y va ?

Regardons d’abord comment les enfants de l’école traditionnelle sont conditionnés au quotidien à se plier à des règles de fonctionnement édictées à leur intention par les adultes : immobilité physique, matières à privilégier, passivité dans l’instruction, rythme de travail, examens, culture de la comparaison entre élèves…

Il faut se souvenir que cette école a été conçue au XIXe siècle pour répondre aux besoins d’une société industrielle qui n’a plus cours. Aujourd’hui et notamment avec l’explosion du numérique, le monde est soumis à de profonds bouleversements sociaux, économiques, écologiques, humains. Il n’a jamais été aussi changeant et aussi riche en opportunités pour qui possède les savoir-être et les savoir-faire adaptés à ce nouveau paradigme : autonomie, esprit critique, créativité, adaptabilité, force de proposition, leadership, formation tout au long de la vie… Mais aussi recherche de sens et volonté d’épanouissement.

Par ailleurs, les impressionnants progrès scientifiques réalisés (notamment en neurosciences, psychologie et anthropologie) dans la connaissance du développement et de la construction de la personnalité, conduisent à considérer l’enfant comme un être humain à part entière.
Ne pas tenir compte de leur volonté dans la construction de leur propre vie est devenu obsolète. L’école traditionnelle n’est plus adaptée pour ce nouveau monde et ne permet plus aux enfants de s’armer pour s’épanouir.

Peter Gray, psychologue et auteur du livre Libre pour apprendre, prend le contre-pied de ce modèle éducatif pour proposer un concept très différent. Selon lui, l’enfant est doté dès sa naissance d’un désir d’apprendre immense, d’une curiosité, d’une gaieté et de qualités sociales qui sont tout ce dont il a besoin pour prendre en main sa propre éducation.
Dans les sociétés traditionnelles ancestrales, les jeunes enfants apprenaient toutes les compétences et les savoirs culturels nécessaires à leur propre initiative et à travers le jeu libre. Cet instinct est toujours présent et il est remarquablement efficace.

Peter Gray affirme en effet que les enfants libres de poursuivre leur intérêt personnel à travers le jeu, apprendront avec passion et implication tout ce dont ils ont besoin. Pourtant, l’école traditionnelle ne permet que très rarement aux enfants de jouer librement et d’explorer. En enfermant l’enfant dans un mode de fonctionnement rigide, elle éteint sa curiosité. Les études menées dans les écoles alternatives sont d’ailleurs sans appel et confirment cette idée de par les excellents résultats de leurs élèves.

 

L’éducation libre, c’est quoi ?

Comment fonctionnent ces écoles libres ? Il ne s’agit pas d’une pédagogie, mais bien d’une autre conception de l’école et de l’éducation. L’objectif est de contribuer à la construction d’un futur adulte autonome et actif dans la société, en respectant l’intérêt et le rythme de chaque enfant, qui est doté des mêmes droits que les adultes et participe à la gestion de l’école. L’éducation libre fait en sorte de laisser l’enfant déterminer ses apprentissages et ses activités selon ses propres intérêts, et ce dans un cadre démocratique, intergénérationnel et tourné vers le vivre ensemble.

La Sudburry Valley School, fondée en 1968 au Massachussetts, en est un brillant exemple et sert souvent de modèle aux écoles démocratiques. Libérés de tout objectif pédagogique, les élèves ont prouvé qu’ils avaient libéré tout leur potentiel : près de 90 % d’entre eux poursuivent leurs études dans leur Université de premier choix ; qu’ils soient devenus artisans, scientifiques, entrepreneurs ou artistes, ils font tous preuve d’une grande confiance en eux et de qualités telles que la tolérance, l’intégrité, l’amour de la vie.

Mots & Merveilles – La Fabrique : Célia, peux-tu nous expliquer ce qu’est pour toi l’éducation libre ?

Célia Bessaguet : C’est l’école de la vie. Pour moi, éduquer librement, c’est simplement respecter l’être humain. C’est accepter qu’un enfant n’est ni le prolongement de ses parents ni celui de la société. Accepter qu’il est un être à part entière, un être libre, et qu’il n’a pas à porter les projections ou les attentes de qui que ce soit. C’est comprendre et accepter que l’enfant a ses propres centres d’intérêt qu’il explorera avec enthousiasme si on lui en laisse l’occasion, et qu’il en retirera de nombreux apprentissages, qui ont du sens pour lui. C’est vivre pleinement la confiance que l’on accorde à son enfant, à sa curiosité naturelle et à ses aptitudes à apprendre par lui-même et pour lui-même.

 

Quel est le rôle de l’éducation libre ?

Mots & Merveilles – La Fabrique : À quoi sert l’éducation libre ?

Célia Bessaguet : Éduquer librement ouvre d’incroyables perspectives humaines. L’éducation libre permet d’offrir à l’enfant la possibilité de construire sa confiance en lui et dans le monde qui l’entoure. N’étant pas jugé sur ce qui est bon ou normal d’apprendre à tel ou tel âge, l’enfant grandit sereinement et développe ses connaissances et ses compétences naturellement ; il valorise son potentiel et ses capacités personnelles. Être libre d’explorer ses passions et domaines d’intérêt comme il le souhaite et aussi longtemps que nécessaire, permet également à l’enfant d’acquérir une meilleure connaissance de soi et de forger son identité.

Éduquer librement, c’est permettre à chacun de devenir acteur de sa vie, de faire des choix éclairés et ainsi de prendre sa place de citoyen. C’est devenir autonome… En apprenant librement, on comprend que rien n’est impossible si l’on y croit et en s’en donnant les moyens !

 

Mots & Merveilles – La Fabrique : Pourquoi avoir « créé » une autre éducation alors que l’école “normale” existe ?

Célia Bessaguet : Pour moi, l’école traditionnelle ne répond plus :

  • Aux besoins de la société :

Elle n’a pas évolué depuis l’après-guerre et ne correspond absolument plus au monde (en grande mutation) dans lequel nous vivons. L’ère industrielle a laissé place à un société numérique, où les tâches autrefois réalisées par des humains sont désormais l’œuvre de machines. L’urgence écologique apporte également de nouveaux défis à relever… Ce qui m’amène à penser que notre monde a besoin d’individus créatifs et autonomes, de personnes capables de penser différemment, de s’adapter pour relever les challenges de notre époque !

  • Aux besoins des enfants :

L’école traditionnelle ne s’est ni adaptée aux récentes avancées pédagogiques (Freinet, Montessori…) ni aux découvertes scientifiques (neurosciences…) qui prouvent pourtant que les enfants sont des êtres sensibles, doués d’émotions, de créativité et de grandes capacités d’apprentissage dès lors que leur environnement le lui permet… et qu’ils sont tous différents. Chaque enfant renferme un potentiel unique qui ne demande qu’à s’épanouir librement…

J’ai décidé de créer une école où chaque enfant peut être et devenir qui il est… une école libérée des classes d’âge et des programmes de l’Éducation Nationale où chacun apprend qui il est et vit avec d’autres personnes d’âges et d’intérêts différents… où chacun est l’auteur de son propre cheminement d’apprentissage.

Mots & Merveilles – La Fabrique : Qui est concerné ? Dans quel contexte ?

Célia Bessaguet : Faire le choix d’une école démocratique est un engagement fort, un vrai choix de vie. Toute famille adhérant aux valeurs de liberté, d’égalité, d’entraide et ne se retrouvant pas dans le modèle scolaire traditionnel peut opter pour ce type d’école alternative.

Certains enfants ayant été diagnostiqués haut potentiel sont régulièrement admis dans ces écoles où ils peuvent apprendre sans être limités par les programmes de l’Éducation Nationale. D’autres étant diagnostiqués Dys et souffrant de l’inadaptabilité de l’école traditionnelle se tournent également vers des écoles libres où leurs troubles passeront inaperçus la plupart du temps.

 

L’éducation libre, un changement de vie ?

Mots & Merveilles – La Fabrique : Qu’est-ce que cette éducation change concrètement pour les enfants et les jeunes ?

Célia Bessaguet : D’une part, un enfant intégrant une école libre peut passer par une période transitoire où la liberté qui lui est soudainement offerte est déroutante par rapport à son expérience passée. Certains enfants enchaînent les activités compulsivement tandis que d’autres peuvent tourner en rond. Quoi qu’il en soit, cette transition permet aux enfants de sortir de leurs précédents conditionnements et d’apprivoiser cette liberté retrouvée.

D’autre part, la coéducation est un axe central de notre approche éducative. Afin d’assurer la meilleure cohésion possible entre l’école et la maison, le dialogue est nécessaire. Cela évite à l’enfant, bénéficiant d’une grande liberté à l’école et de règles de vie coconstruites avec le groupe, de faire le grand écart entre deux organisations différentes.

Mots & Merveilles – La Fabrique : Finalement, c’est bien plus adopter un nouveau mode de vie que simplement entrer dans une nouvelle école…

Célia Bessaguet : Grandir dans une école libre, c’est reprendre le pouvoir sur sa vie… Il ne s’agit plus simplement d’inculquer connaissances, compétences et culture aux enfants, mais de vivre un certain nombre d’expériences ayant du sens, reliées à des besoins, des passions… à la vie !

Il s’agit de considérer les enfants avec respect, égalité et de leur permettre de s’épanouir individuellement et au sein d’une communauté. L’école libre et son organisation démocratique offre à chaque enfant la possibilité d’expérimenter le vivre-ensemble, dans la liberté, l’égalité, la fraternité et la bienveillance, et ainsi de construire leur place de citoyen pour le monde à venir.

 

Pour conclure…

Mots & Merveilles – La Fabrique : Si l’éducation libre était généralisée, qu’est-ce que cela changerait à grande échelle ?

Célia Bessaguet : Cela permettrait à tous les adultes, parents, formateurs, d’accompagner l’enfant d’aujourd’hui pour qu’il revienne l’adulte épanoui et responsable de demain. Éduquer les enfants librement à devenir des êtres libres, épanouis, pleinement accomplis et assumant totalement leurs choix de vie tant personnels que professionnels. Grandir en école démocratique, c’est faire très tôt l’expérience de la démocratie, du vivre ensemble, mais aussi grandir dans la conscience écologique. Les enfants éduqués librement deviennent des citoyens éclairés, acteurs de choix porteurs de sens dans la construction d’une société pacifiée, respectueuse de l’Homme et de la Nature.

 

 


Le partenaire de Mots & Merveilles – La Fabrique : Célia Bessaguet

Célia est la fondatrice de l’École à l’Ère libre.

« Mon parcours ressemble à ceux de ma génération. Une scolarité classique, à la différence qu’elle a eu lieu dans une école privée sous contrat dans la banlieue éloignée de Paris. L’école m’a appris à faire ce que l’on attendait de moi. Mes souvenirs de cette période sont plutôt fades.
Ce n’est qu’après ces longues années d’école que j’ai commencé à me connaitre – et ce, grâce à une filière artistique, car je suis musicienne. Pendant 10 ans j’ai accompagné des classes dans leurs projets de spectacles ; j’ai travaillé avec les bébés, dans le secteur de la petite enfance ; mais aussi en musicothérapie.
Entretemps je suis devenue maman et j’ai réalisé le cadeau que m’offrait la vie. À travers mes enfants, j’ai observé un champ des possibles qui s’ouvrait pour eux, pour moi, pour le monde. J’ai vu avec quel enthousiasme et quel bonheur ils croquent la vie à chaque instant. Je perçois chaque jour un potentiel créatif infini, une aptitude à apprendre, de la curiosité, de la détermination.
J’ai cherché à donner un sens à cette période de ma vie : l’expérience de l’éco-parentalité. J’ai appris à mieux comprendre l’enfant. Les différentes facettes qui le composent, ses besoins, ses envies, ses limites… et j’ai compris que l’école publique allait les abimer.
Mon équipe et moi avons créé l’École à l’Ère libre pour permettre à chaque enfant d’être et de devenir. Je suis aujourd’hui directrice du Primaire, et j’accompagne les membres de l’école en tant que facilitatrice d’apprentissage à temps plein. »

 

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